Chapitre 1 : Information, document, numérique

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1.1 Qu’entendons-nous par information ?........................................................................... 9
1.1.1 Information, savoir, connaissance............................................................................................................... 9
1.1.2 Système d’information, information opérationnelle et information décisionnelle............................... 10
1.1.3 Qualité de l’information................................................................................................................................ 11
1.1.4 Information structurée et information non structurée............................................................................. 12
§ Information structurée....................................................................................................................................... 12
§ Information non structurée............................................................................................................................... 12
1.1.5 Information tacite et information explicite................................................................................................. 12
1.1.6 Information numérique................................................................................................................................. 13
§ Qu'est-ce que l'information numérique ?......................................................................................................... 13
§ Qui utilise l'information numérique ?............................................................................................................... 13
§ Pourquoi utilise-t-on l'information numérique ?............................................................................................ 14
§ Doit-on gérer l'information numérique ?......................................................................................................... 14
1.2 Qu'est-ce qu'un document ?........................................................................................ 15
§ « Réinventer des documents au travers du numérique »............................................................................ 15
1.2.1 Une première définition du document - Le document comme signe..................................................... 16
§ Le support du document est modifié par la numérisation............................................................................ 16
§ Les conséquences du numérique sur l’inscription du document............................................................... 16
1.2.2 Deuxième définition du document : le document défini par son contenu............................................ 17
1.2.3 Troisième définition du document : l’aspect communicationnel du document – Le document comme médium 18
1.3 Document numérique et technologie intellectuelle : au pouvoir de l'entreprise....... 19
1.3.1 Daniel Bell : « ordonner la société de masse »......................................................................................... 19
1.3.2 Jack Goody : l’écriture et la liste................................................................................................................. 19
1.3.3 Pierre Lévy : l’informatique.......................................................................................................................... 20
1.3.4 Pascal Robert : de la gestion du nombre à la « ressource de pouvoir »............................................... 20




1 Information, document, numérique


1.1 Qu’entendons-nous par information ?
1.1.1 Information, savoir, connaissance
Le Dictionnaire des Sciences de l’information et de la communication, de Lamizet et Silem, définit l’information comme « l’inscription d’une référence socialement déterminée dans un système formel susceptible de faire l’objet d’une diffusion et d’un échange dans la communication. » En toute rigueur, la notion d’information doit être distinguée de donnée, de savoir et de connaissance. L’information est « une donnée pourvue d’un sens qui est reçue dans le processus de communication », le savoir est vu comme une « information plus hautement élaborée » et la connaissance est définie comme une information de portée plus générale encore que le savoir.
Savoir et connaissance sont donc spécifiés comme différentes valeurs de l’information.

En entreprise, l’information peut être vue comme un flux, ou processus, alors que la connaissance et le savoir sont assimilés à un stock, capital résultant de ce flux d’information. L’information est une « ressource que toute structure se doit de maîtriser pour acquérir, améliorer ou conserver une position favorable sur un marché donné. »[1] Une fois l’information maîtrisée, elle acquiert l’état de savoir. Derrière l’idée de savoir réside l’idée d’apprentissage. Reconnue ensuite par un domaine, cette « information de valeur » prend le statut de connaissance.
L’information est donc un savoir, voire une connaissance, en devenir, qui change de statut par la voie de l’apprentissage ou après acceptation commune de son contenu.

Dans notre mémoire, nous parlons de « gestion de l’information » en entreprise. Dans ce cas, qu’entendons-nous par information ? Dans les centres de documentation, l’information suit toujours les mêmes étapes de traitement (indexation, classement, recherche, diffusion), quelle que soit sa valeur, quel que soit également son degré de finitude. Qu’il s’agisse d’une information brute, non transformée (un article de presse, par exemple), d’une information en devenir, stockée mais pouvant encore être modifiée (une procédure), ou d’une information élaborée, à vocation pérenne, stockée, élargissant le capital de connaissances de l’entreprise (un rapport sur un sujet, endogène ou exogène à l’entreprise), quel que soit leur usage, toutes emprunteront la même chaîne de traitement documentaire.
Le terme d’ « information » englobera donc dans cette recherche les trois notions : information, savoir et connaissance, vus comme processus ou stock, à valeur plus ou moins élevée.

La maîtrise de l’information est un enjeu majeur pour l’entreprise. Nécessairement, des moyens assurant sa gestion doivent être mis en œuvre : ils sont regroupés dans le système d’information.

1.1.2 Système d’information, information opérationnelle et information décisionnelle
On entend par système d’information « l’ensemble des moyens matériels et humains nécessaires à la définition, au traitement, au stockage et au transfert de l’ensemble des informations caractérisant une activité, un flux financier, ou un flux matériel : (…) c’est un système imagé de l’activité, des moyens mis en œuvre, des méthodes de travail et des règles de fonctionnement d’une organisation donnée. »[2] Une entreprise peut être définie comme un système global composé par trois niveaux :
- le niveau direction : le système de pilotage,
- le niveau production de biens et de services : le système opérant,
- le niveau informationnel : il assure le lien et la représentation de toute l’activité des deux niveaux précédents.
Les informations gérées sont donc de natures différentes : de nature décisionnelle (niveau pilotage) ou de nature opérationnelle (niveau opérant). De par leur nature, les informations opérationnelles interviennent dans des procédures formalisées et structurées, tandis que les informations décisionnelles sont peu ou pas du tout formalisées et les procédures où elles interviennent sont très peu structurées. Pour cette raison, l’introduction de l’informatique comme moyen de traitement des systèmes d’information est devenue une nécessité : l’amélioration des moyens de stockage, d’exploitation et de communication des informations conditionnent l’efficacité des systèmes d’information. Un tel système d’information est appelé système d’information automatisé.

1.1.3 Qualité de l’information
Une information pertinente répond à un besoin précis d’information, formulé par un acteur donné, à un moment donné et sur un sujet donné.
Au plan terminologique, il est important de distinguer ces deux notions : information de qualité et information pertinente. Quelles sont les caractéristiques d’une "information de qualité", notamment de l’information documentaire, ou spécialisée ? Il est intéressant de repartir de la définition traditionnelle des caractéristiques de la qualité de l’information, notamment professionnelle ; elles définissent en creux tous les objectifs et les critères d’évaluation :
- une information identifiée, "sourcée" : il s'agit d'une information dont on peut identifier facilement l’auteur. L'identification est le premier objectif de l’évaluation,
- une information fiable : le contenu, les données apportées doivent avoir été vérifiées, recoupées. L’information professionnelle doit reposer sur un contrat de confiance, une légitimité admise, évitant au lecteur d’avoir à vérifier lui-même la véracité des informations, c'est l'objectif le plus difficile et le plus important de l’évaluation de l’information sur Internet, puisqu’il n’y a pas forcément le contrat de confiance existant dans l’information professionnelle,
- une information apportant de la nouveauté : cela renvoie à la définition même, au plan théorique, de l’information (quelque chose qui apporte du nouveau, enrichit les connaissances). Sur Internet, l’évaluation de l’information doit viser à apprécier le degré de nouveauté, d’originalité d’une information. Il s'agit là d'un des fléaux d’Internet : la redondance toucherait environ un tiers des documents…
- une information précise, exacte, complète ou exhaustive : critère de la densité, de l’exactitude, de la complétude de l’information apportée,
- une information accessible : l’information documentaire, spécialisée, doit être facilement retrouvée, identifiée, localisée, et accessible. Le problème sur Internet est l’accès parfois incertain aux documents, ou l’accès gratuit ou payant, ou encore la localisation,
- une information fraîche, actualisée : la mise à jour et le renouvellement de l’information sont des données essentielles,
- une information ayant un impact, un effet : cela regroupe les caractéristiques de l’information "utile", recherchée en vue d’un objectif d’action ou de décision. C'est un critère difficile à apprécier, lié à la pertinence et à l’adaptation de l’information à l’objectif de recherche,
- une information bien structurée, bien présentée, bien rédigée.[3]

1.1.4 Information structurée et information non structurée
§ Information structurée
L’information structurée est principalement celle contenue dans les bases de données relationnelles. De type numérique ou alphanumérique, elle est retrouvée par des chemins d’accès, des codes précis. L’information est dite « structurée » lorsqu’on lui a attribué un nombre de champs prédéfinis, et lorsque les concepteurs de la base ont prévu tous les modes et chemins d’accès utiles.[4]

§ Information non structurée
Au contraire de l’information structurée, l’information non structurée est celle contenue dans les bases de données documentaires, sous forme de textes enregistrés séquentiellement. Il n’y a pas de chemin d’accès prédéfinis pour retrouver les informations. Il faut faire une recherche directement sur le contenu, ceci est beaucoup plus complexe que l’accès par champs.

1.1.5 Information tacite et information explicite
Certains savoirs sont tacites car ils ne peuvent pas être codifiés dans un langage permettant leur transmission à autrui. Ils se transmettent par imitation et expérience. D’autres savoirs sont explicites, car ils peuvent être codifiés de telle sorte qu’ils puissent faire l’objet de transmission sans contact direct entre l’émetteur et le récepteur. Ils peuvent être mis en œuvre sans expérimentation préalable. Ils sont formalisables et par conséquent se prêtent à une large diffusion par des moyens tels que la transmission électronique. Ils offrent le moyen de contrôler l’action par standardisation.[5]

L’information tacite ne fera pas l’objet d’un traitement documentaire, puisqu’elle ne se transmet pas par l’écrit ; elle n’en perd néanmoins pas sa valeur, bien au contraire, en étant confidentielle, elle permet à l’entreprise d’accroître son potentiel concurrentiel.

1.1.6 Information numérique
§ Qu'est-ce que l'information numérique ?
L'information numérique correspond à ce qu'on appelle en anglais "digital information". Très concrètement, il s'agit de toute information se présentant sous forme de fichiers informatiques traitables par ordinateur. L'information numérique est ainsi appelée parce qu'elle est représentée -ou codée- en nombres binaires, de façon à pouvoir être traitée par ordinateur. L'information numérique peut être : du texte (exemple : documents Word ou "PDF"), du son (exemple : fichiers "MP3" ou "WAV"), des images (exemple : formats " JPEG " et " GIF "), du multimédia (exemple : présentations PowerPoint, "Flash").

§ Qui utilise l'information numérique ?
Toutes les organisations (entreprises, organismes gouvernementaux, etc.) sont aujourd'hui utilisatrices, et même productrices, d'information numérique. Pensons simplement aux masses de documents de traitement de texte (Word, etc.) qui se créent dans les secrétariats d'écoles, de magasins, d'hôpitaux, dans les bureaux d'avocats, de dentistes, de médecins, dans les gouvernements, les banques, etc.
Les individus utilisent et créent aussi de l'information numérique. De plus en plus de gens possèdent leur propre ordinateur. Le courrier électronique (courriel) est maintenant omniprésent. La navigation ("surfing") et la recherche d'information sur Internet est de plus en plus populaire.

§ Pourquoi utilise-t-on l'information numérique ?
Si l'information numérique est si populaire et se retrouve partout aujourd'hui, c'est parce qu'elle comporte beaucoup d'avantages par rapport à l'information qui existe exclusivement sur papier. Par exemple :
- il est plus facile d'apporter des corrections au moment où on crée les documents,
- une fois qu'ils sont créés, les documents ne prennent pratiquement aucun espace physique,
- on peut envoyer les documents par courrier électronique ou en stocker des milliers sur un seul cédérom,
- toutes les formes d'information (images, sons, texte, etc.) peuvent être stockées sur les mêmes types de supports (disquettes, CD-ROM, etc.) et transmises via les mêmes réseaux informatiques (réseaux locaux, intranet, extranet, Internet.),
- l'information numérique est plus facile à rechercher : par exemple, on peut facilement retrouver parmi des milliers de documents numériques tous ceux qui contiennent un mot précis, ce qui est quasi-impensable avec des documents papier.[6]

§ Doit-on gérer l'information numérique ?
Considérons la question de façon plus générale : doit-on gérer l'information tout court? La réponse à cette question dépend du contexte. Un individu peut très bien accumuler son information personnelle, sans méthode particulière, et il arrivera probablement malgré tout à retrouver sans trop de problème ce dont il a besoin, par exemple, pour faire sa déclaration d'impôt. Une organisation, cependant, ne peut pas fonctionner de cette façon. En effet, une organisation a une existence légale, à laquelle se rattachent des obligations. Elle doit par exemple pouvoir montrer des livres comptables bien tenus, produire des rapports annuels, etc. Une bonne gestion de l'information peut également procurer des avantages compétitifs. Par exemple, si une entreprise peut retrouver facilement l'information sur ses clients potentiels et sur ses compétiteurs, elle réalisera probablement plus de ventes.

La gestion systématique de l'information, numérique ou pas, est une obligation pour toute organisation.

1.2 Qu'est-ce qu'un document ?

Dans ce mémoire, nous nous intéressons au document textuel.
Selon le Dictionnaire des Sciences de l’information et de la communication, le document est le « support d’informations enregistrées à titre permanent et susceptible d’être classé et consulté, et éventuellement reproduit. »
On distingue diverses typologies du document, cependant dans le cadre de la documentation, l’une des plus efficaces a pour fondement « la distinction des documents selon leur nature et leur fonction. » Il résulte alors les catégories de document primaire (ou original) et de document secondaire (ou notice bibliographique du document primaire). La bibliographie, l’index sont des exemples de documents secondaires.

Pour Jean-Michel Salaün[7], l’idée serait qu’un document ne serait qu’« un contrat ou une convention entre des hommes qui fonderait une part de leur humanité, de leur capacité à vivre ensemble, et dont les modalités anthropologiques (lisibilité - perception, signe), intellectuelles (intelligibilité - assimilation, texte) et sociales (sociabilité - intégration, médium) devraient non seulement être efficientes prises chacune séparément, mais encore être cohérentes entre elles. »[8]
Pour l’auteur, le document est donc successivement perçu comme signe, texte ou médium.

§ « Réinventer des documents au travers du numérique »
Le numérique bouscule à l’évidence profondément le document, devenu électronique. Selon Jean-Michel Salaün, il s’agit de mesurer comment le numérique, à la fois « révélateur » et « facteur d’évolution »[9], transforme le contrat qui fonde la notion de document. Le numérique ne serait qu’un « vecteur de multiplication, de renouvellement et un des ferments de la transformation des conventions établies entre les hommes. »
Les transformations qui s’opèrent avec l’introduction du numérique portent par exemple sur la matérialité, le traitement cognitif, la perception ou encore l’usage du document.

1.2.1 Une première définition du document - Le document comme signe
L’article « Document : forme, signe et médium, les re-formulations du numérique »[10] définit le document par l’équation suivante :

Document traditionnel = support + inscription

Le document est un support sur lequel est fixée une inscription. Le support du document textuel traditionnel est le papier. L’inscription est une trace manuscrite ou imprimée sur le papier.
Avec la numérisation, l’attachement permanent du document traditionnel à son support a été rompu.

§ Le support du document est modifié par la numérisation
La numérisation engendre la dématérialisation du support.
Si l’objectif du numérique est de reproduire une « perception similaire ou homologue »[11] à celle de l’objet d’origine, il s’agit néanmoins d’une traduction nouvelle qui pourra « occulter des éléments signifiants ou au contraire en faire découvrir ou redécouvrir de nouveaux. » Le lecteur, quant à lui, doit utiliser un appareillage sophistiqué pour accéder à la lecture du document numérique.

§ Les conséquences du numérique sur l’inscription du document
L’inscription relève du codage, une opération familière des informaticiens qui, avec la numérisation, cherchent à isoler les éléments du document pour les modéliser, automatiser les opérations et réagencer les différents éléments. Ceux-ci ont fait ressortir deux niveaux fondamentaux de structuration des documents : leur structure logique (l’articulation du documents en parties et sous-parties) et la représentation formelle de la présentation (par exemple le choix typographique d’un texte).

On passe alors de l’équation :

Document traditionnel = support + inscription
à l’équation :

Document numérique = structure + données

1.2.2 Deuxième définition du document : le document défini par son contenu
Le document est cette fois-ci exprimé selon l’équation :

Document = inscription + sens

Le support est cette fois accessoire, seule l’inscription compte. Le contenu est porteur de sens, à deux moments différents de la vie du document : le sens se construit d’abord par rapport au contexte de production, puis par rapport au contexte de diffusion du document.

Avant d’aller plus loin dans le raisonnement, il est nécessaire de donner une définition du terme « contenu ». Le Dictionnaire des Sciences de l’information et de la communication nous apprend qu’il s’agit du « message [ou de l’] objet de la communication » ou encore de « ce qui est conservé et transmis par le contenant (document ou support) ». Le contenu peut être « sujet d’une analyse documentaire » ; celle-ci repose sur « [l’extraction des] informations d’un document en les réduisant à l’essentiel par une reformulation dans les termes d’un langage approprié, qui permet de retrouver le document avec son information primaire aussi rapidement et aussi sûrement que possible. »

La finalité du document est sa diffusion, immédiate ou non. Le document passe nécessairement par une phase d’indexation (le document est défini par son contenu) puis de classement qui permettra la recherche ultérieure (production). Le sens du document se fait ensuite lorsqu’il est lu et interprété par un lecteur à une époque donnée (diffusion) ; le contexte de diffusion (individu, époque) « conditionne l’interprétation du contenu. »[12]
Le document est donc pris dans une « double relation » : la relation au monde documentaire (indexation, classement) d’une part, et la relation au monde naturel (interprétation) d’autre part.

Avec la numérisation, les informaticiens se sont attaqués au contenu du document, pour de l’indexation automatique par exemple. À ce titre, ils ont intégré aux documents les métadonnées, informant de la structure du document, et ont créé les ontologies, langages documentaires héritiers des thésaurus.[13]

Le document se définit alors par l’équation :

Document = texte informé + ontologies

1.2.3 Troisième définition du document : l’aspect communicationnel du document – Le document comme médium
« L’utilisation de plus en plus poussée de la langue naturelle comme d’un outil a tendance à souligner l’aspect communicationnel des textes en estompant la cohérence globale des documents. »[14] Ainsi, les liens hypertextes joueraient un rôle plus important que le texte tel qu’il était construit par l'auteur. Pourtant, le contenu n’a de valeur que par rapport à un contexte.
Un document donne un statut à une information, à un signe matérialisé, il est porté par un groupe social qui le suscite, le diffuse, le sauvegarde et l’utilise. La publication constitue souvent un moyen simple de légitimation. Entré dans une « mémoire » partagée, sa valeur est appréciée collectivement. « Le contrat de lecture trouve sa troisième dimension dans la sociabilité. »[15]


Le numérique a transformé le document, et avec lui son traitement. Il nous a semblé nécessaire, avant de parler de gestion de l’information en entreprise (partie 2), et particulièrement de gestion automatisée, de définir la notion de « technologie intellectuelle ». Celle-ci regroupe tous les outils qui, depuis l’écriture, sont venus modifier la relation au savoir, la façon dont les gens échangent entre eux.

1.3 Document numérique et technologie intellectuelle : au pouvoir de l'entreprise

« L’intelligence ne s’est jamais construite sans support technique, il n’existe pas d’intelligence "naturelle", non équipée et fruit du seul individu. »[16]

1.3.1 Daniel Bell : « ordonner la société de masse »
Pascal Robert nous apprend[17] que l’expression « technologie intellectuelle » est employée la première fois par Daniel Bell, dans son livre La Société post-industrielle (Robert Laffont, 1976). Pour l’auteur, elle désigne un outil susceptible d’« ordonner la société de masse », de gérer la complexité de notre société. Elle est un outil de résolution formelle de problème, mise en œuvre par un ordinateur.

1.3.2 Jack Goody : l’écriture et la liste
Jack Goody élargit cette première définition à l’écriture. Cité par Pascal Robert[18], il avance dans La Raison graphique (Éditions de Minuit, 1979), que « même si l’on ne peut raisonnablement pas réduire un message au moyen matériel de sa transmission, tout changement dans le système des communications a nécessairement d’importants effets sur les contenus transmis. (…) C’est pourquoi un examen des moyens de communication peut contribuer à nous éclairer davantage sur la nature des développements dans le domaine de la pensée. » Écrire, faire des listes, ne participe pas simplement à l’émergence d’une nouvelle habileté technique, mais « au fondement d’une nouvelle aptitude intellectuelle. » Ainsi, « l’écriture et la liste offrent une intelligence gestionnaire qui repose sur la possibilité de travailler avec et sur les opérations de stockage, de regroupement, de tri (…), grâce à la maîtrise d’une technique de distribution spatiale de l’information. »

1.3.3 Pierre Lévy : l’informatique
Pierre Lévy, dans Les Technologies de l'intelligence (La Découverte, 1990), reprend le travail de Jack Goody, en se concentrant davantage sur l’informatique. Pascal Robert résume ainsi son propos : « l’écriture et l’imprimerie ont exploré des voies certes essentielles, mais dont la véritable richesse ne peut être véritablement révélée que par l’informatique. »[19] La technologie intellectuelle est un « réseau hétérogène d’interfaces, liées par une dynamique hypertextuelle, en évolution constante. » L’auteur étend ensuite sa définition à tous les outils, machines et procédés de production, « même quand ils n’ont pas pour objet direct le traitement de l’information, l’enregistrement ou la transmission des représentations. »

1.3.4 Pascal Robert : de la gestion du nombre à la « ressource de pouvoir »
Pascal Robert nous délivre une théorie à la fois plus générale et plus stricte des technologies intellectuelles.[20] Il admet, après un travail de définition sur les propriétés de la notion, que, outre l’écriture, l’imprimerie et l’informatique, d’autres dispositifs techniques peuvent également être considérés comme des technologies intellectuelles. Il objecte cependant à Pierre Lévy d’assimiler la notion à tout processus, dès lors qu’il relève du penser / classer.
Pascal Robert propose donc la définition suivante : la technologie intellectuelle est « un outil régulé de gestion du nombre (de la complexité) opérant une traduction de l’événement en document par la conversion des dimensions. »

Une technologie intellectuelle est un outil, c’est-à-dire une réalité technique matérielle (par exemple le livre), support d’une représentation (le texte), dont la relation est entendue comme condition réciproque d’existence. « Cet outil possède un dispositif de régulation qui permet de déterminer un effet d’ordre et d’organisation. » Ce dispositif institue une règle de structuration propre à chacune des technologies intellectuelles (par exemple l’index, la bibliographie sont des régulateurs assurant une manipulation plus simple et plus productive du livre).
Les technologies intellectuelles sont d’excellents outils de gestion du nombre : elles le comptent, le classent, le hiérarchisent, etc. Voilà ce à quoi, pour l’auteur, l’on emploie et l’on reconnaît une technologie intellectuelle. « Cette gestion s’exerce par le travail d’une opération de traduction de l’événement, manifesté par la production d’informations pour un observateur, en document ». La technologie intellectuelle recueille, fixe et enregistre cette information, pérennisant l’événement. Les opérations ultérieures d’accumulation et de traitement se développeront sur cette base. Il n’y a donc pas de traitement possible sans le passage au document, stabilisant l’information.
« Le document constitue l’espace d’expression du dispositif de régulation de la technologie intellectuelle : il participe à définir le mode de traitement de l’information qu’il autorise. (…) Mais s’il permet de définir un ordre, il ne joue que peu sur les variables de l’espace et du temps. La maîtrise de l’événement (…) passe par une maîtrise de ces deux paramètres. Les technologies intellectuelles y parviennent en jouant (…) sur les dimensions[21]. » Ces opérations sont à l’œuvre dans le travail de traduction de l’événement en document :
- le passage d’une dimension inférieure à une dimension supérieure correspond au traitement de l’information,
- le travail sur l’échelle avec conservation de la dimension correspond à la navigation,
- le passage d’une dimension supérieure à une dimension inférieure correspond à la modélisation.
Ce travail de conversion des dimensions permet à l’auteur, dans un second article,[22] de définir trois grandes « raisons », regroupées autour de ces trois principes : la raison graphique (la liste, les graphiques), la raison classificatrice (le livre, l’encyclopédie) et la raison simulatrice (l’informatique).

« Dire de quelque chose qu’il est stable, cela revient à dire qu’il ne se modifie / dégrade pas ou peu, (…) ou qu’il parvient à maintenir constant son état interne par lui-même, que sa structure, sa morphologie et sa fonction ne se déforment pas aléatoirement. (…) La stabilité du document est à la fois matérielle et informationnelle : l’intégrité de l’information qu’il porte dépend de celle de son support. »[23] Bien évidemment, le document pourra être détruit, reproduit, se déplacer, sans que cela remette forcément en cause sa stabilité. « Grâce à cette double stabilité / mobilité », le document peut être transmis dans le temps et déplacé dans l’espace. Il entre dans un processus de décontextualisation.
Les banques de données jouent habilement du balancement entre l’indispensable concentration, la masse, et sa variation, son actualisation ; entre l’irréversibilité (sans quoi il n’y a pas d’effet de masse) et la réversibilité (sans quoi la masse demeure inerte). Ces deux couples, stabilité / mobilité et réversibilité / irréversibilité, permettent à ceux qui les maîtrisent d’entrer en concurrence (diffuser le document ou au contraire le rendre immobile, unique) et leur offrent donc beaucoup de pouvoir.


Dès lors qu’un document n’est plus figé par un support, il faut gérer les temporalités diverses d’un et de plusieurs documents et de son écriture, de son enrichissement ou de sa réécriture par des intervenants variés.[24] La dématérialisation de son support entraîne une facilité dans sa modification.
Pour les auteurs du Dictionnaire des Sciences de l’information et de la communication, les fonctions du document sont « la conservation de l’information (constitution d’une mémoire) et la diffusion du savoir. » Comment parler de conservation dans les organisations, quand les versions intermédiaires d’un document sont effacées ? Seule la dernière version du document est désormais conservée. À l’heure du travail collaboratif en entreprise, qui nécessite la mise en commun de documents, l’affichage des informations ne constitue pas à lui seul le document, il doit être validé par des procédures certifiées.

Avec le développement des Technologies de l’information et de la communication, techniques d’une sophistication extrême, les technologies intellectuelles revêtent une importance particulière dans la gestion de l’information. Bien maîtrisées, elles permettent à une entreprise de prendre les décisions stratégiques, indispensables à sa survie.



[1] Source : <HTTP://mist.univ-paris1.fr/logiciel/def.htm>
[2] Source : LAMIZET, Bernard ; SILEM, Ahmed, Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication, Ellipses, 1997.
[3] Source : URFIST, Le problème de la qualité et de la pertinence de l'information [en ligne], Disponible sur
<HTTP://www.uhb.fr/urfist/Supports/StageEvalInfo/EvalInfo_cadre.htm> (consulté le 25 septembre 2004).
[4] Source : LEFÈVRE, Philippe, La recherche d’informations, du texte intégral au thésaurus, Hermès Science Europe, 2000.
[5] TARONDEAU, Jean-Claude, Le management des savoirs, Que sais-je ? ; PUF éditions, 2003.
[6] Université de Montréal, École de bibliothéconomie et des sciences de l'information, Guide de l'étudiant - Certificat en gestion de l'information numérique - 2004-2005 [en ligne], Disponible sur <HTTP://www.ebsi.umontreal.ca/guidegin/guide-gin-0405.pdf> (consulté le 22 septembre 2004).
[7] Jean-Michel Salaün, Professeur à l’ENSSIB et animateur du domaine « Documents et contenu : création, indexation, navigation », du département Sciences et technologies de l’information et de la communication du CNRS, est l’initiateur de l’article intitulé « Document : forme, signe et médium, les re-formulations du numérique », projet collectif qui se propose de spécifier la notion de document.
[8] SALAÜN, Jean-Michel, Chronique inachevée d’une réflexion collective sur le document [en ligne], Disponible sur
<HTTP://rtp-doc.enssib.fr/fichiers/DefinitionDocument/Bibliotheque_document/Com-et-lang-09-01-2004.doc>.
[9] Ibid.
[10] SALAÜN, Jean-Michel, Document : forme, signe et médium, les re-formulations du numérique [en ligne], Disponible sur <HTTP://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000511.HTML>.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[13] La notion d’ontologie sera définie dans la partie 3.
[14] SALAÜN, Jean-Michel, Document : forme, signe et médium, les re-formulations du numérique [en ligne], Disponible sur <HTTP://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000511.HTML>.
[15] Ibid.
[16] ROBERT, Pascal, « Qu’est-ce qu’une technologie intellectuelle ? », In : Communication et langages, 123, premier trimestre 2000, Armand Colin éditeur.
[17] Ibid.
[18] Ibid.
[19] Ibid.
[20] Ibid.
[21] La dimension de premier niveau correspond à la page, la deuxième dimension correspond au livre, la troisième à la bibliothèque, et la quatrième au film (ajout du mouvement).
[22] ROBERT, Pascal, « Les technologies intellectuelles : typologie », In : Communication et langages, 125, septembre 2000, Armand Colin éditeur.
[23] ROBERT, Pascal, « Qu’est-ce qu’une technologie intellectuelle ? », In : Communication et langages, 123, premier trimestre 2000, Armand Colin éditeur.
[24] SALAÜN, Jean-Michel, Document : forme, signe et médium, les re-formulations du numérique [en ligne], Disponible sur <HTTP://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000511.HTML>.